« ...et c’est à ce moment-là que j’ai vu la gamine regagner sa chambre par la fenêtre. Au beau milieu de la nuit, docteur! D’ailleurs, vous devriez voir comment la petite s’habille. Une vraie traînée! Mais vous savez ce qu’on dit : telle mère, telle fille. Ça ne se serait pas passé comme ça de mon temps, vous pensez bien... »

À l’âge vénérable de 102 ans, Mme Fukuda était l’une des plus vieilles patientes de Kaede. Chaque fois qu’elle consultait pour ses rhumatismes, elle avait l’habitude de relater en long et en large les méfaits de ses voisins qu’elle passait la journée à observer à travers son rideau de cuisine. Les contes de la vieille ménagère étaient si détaillés que la médic s’imagina plus d’une fois recommander sa candidature au service d’espionnage pour rigoler. Conditionnée au respect envers les personnes âgées, Kaede tolérait cependant ces commérages lorsqu’elle n’avait rien de plus pressant à faire, même s’il fallait reconnaître que l’idée de remplacer les analgésiques de la vieille par quelque chose de plus définitif lui avait déjà effleuré l’esprit.

La jeune femme eut du mal à cacher son soulagement lorsque l’alarme retentit. S’excusant, elle sortit de la salle d’examen en quatrième vitesse et se rendit aux nouvelles. Au poste d’accueil, un shinobi à bout de souffle racontait une invraisemblable histoire de massacre perpétré par un samouraï étranger dans le gouffre du village. Un peu sceptique quant à la possibilité qu’une seule personne soit parvenue à causer de tels dégâts en si peu de temps, Kaede décida quand-même de se rendre sur place afin de porter assistance aux éventuels blessés.

En tant que kunoichi la plus gradée actuellement présente à l'hôpital, elle prit d’abord la responsabilité de réunir le personnel pour leur donner quelques consignes. La salle de trauma devait être préparée à recevoir un gros volume de patients, il fallait sortir du matériel et des civières supplémentaires des réserves et une équipe de préposés allait devoir se rendre sur les lieux avec des brancards pour assurer le transport des survivants. Kaede conclut en désignant deux médics habitués au combat qui auraient pour tâche de l’assister directement sur le site puis ils quittèrent après avoir fait provision de matériel de soin.

Comme la clinique privée de la jeune praticienne se trouvait sur le chemin, elle s’y arrêta brièvement pour prendre le kit de combat qu’elle gardait toujours prêt en cas de mission de dernière minute puis se dirigea sans plus tarder vers les lieux du drame en compagnie de sa petite équipe.

Une fois parvenue à l’entrée du gouffre, Kaede ne put que constater l’exactitude de la description fournie par le messager. Quelques morts jonchaient déjà le sol, tous des sunajins. Elle compta également plusieurs blessés graves qui étaient parvenus à se traîner à l’écart avant que l’ennemi puisse les achever. D’autres étaient vaillamment occupés à défendre la seule entrée du village mais il était clair qu’ils ne tiendraient pas longtemps. Remarquant un jeune genin resté en retrait, elle lui confia la tâche de se rendre immédiatement à l’hôpital et de demander en son nom que tout le personnel soignant de Sunagakure s’y présente sans délai.

Son attention se porta à nouveau sur l’adversaire et les quelques shinobis qu’il décimait à vue d’œil. Aucun haut gradé n’était encore parvenu sur les lieux. Elle hésita une fraction de seconde, se demandant s’il valait mieux prendre part à l’offensive pour enrayer la menace au plus vite ou si son village serait mieux servi par ses talents de médecin. Le samouraï se battait avec une lame et certains blessés avaient un ou plusieurs membres tranchés, perdant tant de sang qu’à défaut de soins immédiats, leur survie était incertaine. Elle s’agenouilla près d’une première victime, espérant que les meilleurs combattants de son village ne tarderaient pas à s’amener.

Fatalement, ce fut Takeshi que le ciel envoya en réponse à ses prières. Le pirate passa devant Kaede sans même la remarquer, trop occupé à perpétrer des menaces incohérentes. En le voyant lancer une bouteille de vin dans la mauvaise direction puis se précipiter en titubant sur l’étranger, elle fut envahie d’un sentiment de catastrophe imminente. Si elle n’intervenait pas, il allait être massacré. Elle aperçut Kyuushi, non loin, qui semblait du même avis à en juger par son expression.

La kunoichi  s’apprêtait à se lancer dans la mêlée pour en sortir son coéquipier lorsque maître Kashikoi fit enfin son apparition. Avec un soupir de soulagement, elle reprit sa tâche auprès du shinobi agonisant qu’elle avait entrepris de secourir. Elle avait toute confiance en la compétence de son professeur.

Il était autrement plus ardu de pratiquer la médecine au cœur d’un combat que dans le calme d’une clinique. Le matériel et les effectifs étaient limités, la position vulnérable, l’attention divisée par la nécessité de garder un œil sur l’adversaire. Tout en continuant de prodiguer des soins, Kaede ne perdit pas le fil de l’échange qui prenait place non loin d’elle.

D’un coup de fourreau bien placé, l’épéiste inconnu envoya Takeshi se mouler le portrait dans la falaise. Maître Fumetsu tenta ensuite une attaque à distance qui, malgré sa puissance, fut contrée avec une aise effarante. Cet affrontement s’annonçait plus problématique que prévu. Où étaient donc passés les autres juunins du village? Jetant un regard par-dessus son épaule, Kaede aperçut quelques shinobis médicaux qui arrivaient au pas de course. Elle les connaissait tous. La plupart ne valaient rien en combat et s’occuperaient de transporter les blessés en lieu sûr pour y fournir les soins de base. Les deux médic nin qui savaient se défendre lui serviraient de soutien et la remplaceraient dans l’éventualité de plus en plus probable où elle aurait à se battre.

Anticipant la prochaine étape, la kunoichi survola le terrain des yeux à la recherche d’un autre survivant à traiter. C’est alors qu’elle reconnut la silhouette isolée du Kazekage se profilant contre les dunes sablonneuses. Sans perdre de temps en salutations, Gaara adressa quelques consignes à chacun puis, faisant face à l’étranger, lui signifia que la fête était finie. La tâche de Kaede et de son équipe serait de porter secours aux survivants qui se trouvaient par-delà l’extrémité du gouffre, là où les premières confrontations avaient eu lieu. Il lui faudrait contourner l’adversaire. En présente compagnie, ce dernier aurait de quoi s’occuper pendant que l’équipe médicale tentait le passage mais la létalité de ses attaques à distance exigeait la plus grande prudence. La jeune femme fit part de son plan à ses deux collègues en quelques gestes et, dès qu’elle fut certaine que l’attention de l’étranger était ailleurs, se servit d’un shunshin pour passer outre la zone de combat.