Kaede n’avait pas coutume, en dehors des missions, de quitter Suna pour effectuer des consultations médicales à domicile. Et à moins d’un ordre direct, elle ne se déplaçait certainement pas à l’étranger pour un patient qui avait les moyens de le faire lui-même. Pourtant, la visite qu’elle s’apprêtait à rendre constituait une entorse à cette règle, ainsi d’ailleurs qu’à plusieurs autres. La jeune praticienne en était parfaitement consciente et n’en avait cure.  À ses yeux, la nature exceptionnelle de celle à qui cette visite était destinée le justifiait pleinement.

La brise de la forêt, la fraîcheur de la bruine sur son visage et l’odeur des feuilles mouillées lui parurent divines après une journée entière passée à endurer la chaleur accablante du désert. Comme les arbres de ces lieux étaient anciens et majestueux.  Leur âge en faisait les témoins silencieux du passage des dynasties et de la succession d’une multitude de guerres, à l’instar de celle qui résidait parmi eux.

Kaede songea à l’énigmatique demoiselle pour qui elle avait fait tout ce chemin. Il ne lui avait suffi que de quelques instants, lors de leur première rencontre, pour comprendre que cette belle femme sans âge était dotée de facultés uniques et appartenait à une lignée d’exception. Par la suite, elle avait appris que ces dons avaient un prix, comme nombre de privilèges en ce monde. Par intérêt médical, mais aussi parce qu’elle éprouvait une singulière sympathie envers cette étrangère qui, tout comme elle, était atteinte d’une affliction dérivée de son hérédité, la kunoichi s’était résolue à tenter de découvrir un remède contre le mal qui rongeait la prénommée Nëssa.

Afin de s’assurer qu’elle progressait dans la bonne direction, Kaede sortit à nouveau de son sac le  parchemin qu’on lui avait confié. D’une calligraphie délicate, la mystérieuse dame y décrivait le chemin à emprunter et les repères à localiser pour parvenir à son domicile, situé au plus profond de la forêt. Le texte était précédé de sceaux élégamment tracés, garants que seule sa destinataire serait à même d'en déchiffrer le contenu.

Le soir tombait déjà quand la jeune fille déboucha enfin sur la clairière qu’elle cherchait. Une demeure d’une élégante sobriété s’y dressait, bâtie dans un style traditionnel qui s’accordait bien avec l’ambiance paisible de la forêt.  À l’arrière, protégé par une clôture de bois, on pouvait deviner la présence d’un  jardin. Malgré l’apparent calme qui y régnait, la kunoichi remarqua que les lieux dégageaient une ambiance très particulière, presque surnaturelle. Nul besoin d’être senseur pour le percevoir.

Kaede emprunta le chemin de pierres qui menait à l’entrée de la demeure, monta les quelques marches et frappa doucement à la porte.

Un bruissement de feuilles à peine audible se fit entendre derrière Kaede, toujours debout sur le porche. Tournant la tête pour en identifier la source, elle sentit quelque chose frôler sa hanche et constata avec effarement qu’il s’agissait d’un tigre blanc, massif et majestueux. La kunoichi s’était totalement laissée surprendre et savait qu’elle serait sans doute morte à l’heure qu’il est si l’animal avait été hostile. Heureusement, à en juger par son ronronnement, cela semblait être tout le contraire. Le gros félin tenait une proie entre ses dents et déposa nonchalamment celle-ci sur les bottes de la médic en guise d’offrande. L’animal semblait vouloir lui souhaiter la bienvenue. Hésitante, elle tendit lentement la main vers lui et, voyant qu’il ne semblait absolument pas belliqueux, lui gratta la nuque.

-Merci de ton cadeau, mais je ne voudrais pas t’en priver.

Le tigre dressa la tête au son des pas de sa maîtresse, qui venait leur ouvrir la porte. Avec ses yeux rubis, sa peau d’albâtre et sa silhouette sculpturale, Nëssa sembla aux yeux de Kaede tout aussi surnaturelle que lors de leur première rencontre.  La jeune médic s’émerveilla qu’une telle femme puisse exister, songeant à tous les secrets que ce monde recelait sans doute encore. Rien ne la rendait plus heureuse que cette pensée.

Nëssa lui souhaita poliment la bienvenue, s’excusant du comportement de son tigre Pépite. Ce dernier se glissa à l’intérieur sans faire trop de cas de la terre boueuse sous ses pattes. Kaede entra à sa suite, étudiant la décoration avec intérêt. D’une esthétique sobre, les meubles et les draperies n’en étaient pas moins élégants et constitués de matériaux d’une grande qualité. Curieuse, la médic se demanda comment Nëssa pouvait bien gagner sa vie. Elle l’aurait facilement imaginée en riche héritière mais dans ce cas, pourquoi vivre au fond des bois? Un exil politique, peut-être? Ces considérations l’amenèrent à réaliser à quel point elle ignorait tout de la femme qui se tenait devant elle.

En parfaite hôtesse, cette dernière l’invita à prendre place au salon et lui offrit de se restaurer. Paresseusement allongé aux pieds de sa maîtresse, le tigre l’observa tandis qu’elle servait le thé à son invitée. Les deux femmes allaient enfin pouvoir prendre le temps de faire plus ample connaissance. Après avoir remercié Nëssa pour son accueil et l’avoir assurée que tout ce qu’elle pourrait lui révéler demeurerait confidentiel, Kaede entra d’emblée dans le vif du sujet :

-Pourriez-vous m’en dire un peu plus long sur cette malédiction et sur ce qui a déjà été tenté pour l’enrayer?

Tandis que son interlocutrice répondait à la question posée, Kaede remarqua le léger tremblement de ses mains. Craignait-elle que la médic lui veuille du mal ou, plus simplement, qu’elle porte un jugement sur sa nature et sa famille? Si c’était le cas, elle comprendrait bientôt qu’il n’y avait pas à s’inquiéter.

Le chakra "noir" que Nëssa venait d’évoquer piquait la curiosité de la soignante au plus haut point. À quoi ce qualificatif faisait-il référence? La kunoichi n’avait pas encore eu l’occasion de voir sa patiente aux yeux de braise exécuter un jutsu ou se servir directement de son pouvoir. Cette dernière dégagea sa nuque, exposant un sceau qui avait pour rôle de limiter l’intensité du chakra destructeur. Apposé par son mari, disait-elle? La médic avait une certaine expérience des sceaux et devina tout de suite, par sa complexité et la précision de ses traits, que celui-ci avait été créé par un maître. Elle approcha, désireuse de l’examiner de plus près.

-Vous permettez?

Kaede n’était pas une kunoichi de type sensoriel mais, dans une situation où elle avait le loisir d’un contact rapproché avec sa cible, elle disposait d’un moyen encore plus précis de percevoir la circulation du chakra et la condition des organes de celle-ci. Elle posa délicatement la main sur l’épaule de sa patiente, se gardant bien de toucher le sceau, et envoya un fin filet de chakra à travers ses doigts jusque dans le corps de la jeune femme tout en activant sa vision médicale. N’étant aucunement familière avec la constitution de celle-ci mais sachant qu’elle n’était pas vraiment humaine, il semblait préférable de procéder précautionneusement et par étapes.

Ce que l’experte d’irou découvrit la prit par surprise. Le chakra de la belle dame différait effectivement de tous ceux qu’elle avait connus jusqu’à présent. Le mot noir était bien choisi. Elle le sentait serpenter à travers le corps de sa propriétaire, gêné dans sa circulation par le sceau protecteur mais néanmoins puissant et dévastateur. Focalisant maintenant sur le système circulatoire, Kaede fut à nouveau frappée par ce qu’elle constata. Certaines parties du cœur et des gros vaisseaux étaient lacérées d’innombrables et minuscules marques cicatricielles qui n’avaient pu être infligées que par une grave affection systémique. S’agissait-il d’une sorte de maladie auto-immune à base de chakra, précipitée par le caractère obscur de ce dernier? Si c’était le cas, la médic n’avait pas de mal à imaginer les épisodes de douleur que sa patiente avait dû endurer avant le recours au sceau. Mais il y avait également une autre anomalie : ce cœur portait certains des signes d’usure que l’on n’observait normalement qu’après de nombreuses décades de vie.

Sans pour autant mettre un terme à sa technique de vision médicale, Kaede adressa une nouvelle question à la mystérieuse demoiselle.

-Mais… quel âge avez-vous?

Mettant fin à son examen, la médic entreprit de répondre aux interrogations de la maîtresse des lieux.

-J’ignore depuis combien d’années vous êtes de ce monde, mais je suis prête à parier que votre âge véritable n’a rien à voir avec celui que suggère votre apparente jeunesse. Certains signes internes ne mentent pas, et je peux les percevoir à l’aide de ma vision altérée.

Kaede ne jugea pas utile de décrire ces signes en détail. Elle ne souhaitait pas causer de craintes indues à sa patiente. Le désespoir était le pire ennemi de la guérison, et la jeune soignante était fermement résolue à trouver une solution au problème de Nëssa. Son grand respect pour la vie et pour tout ce qu’elle pouvait produire de plus beau, de plus mystérieux, lui interdisait de passer son chemin sans tenter de secourir cette femme qui ne ressemblait à aucune autre.  

Était-elle en mesure de l’aider? Kaede considéra la question et réfléchit à ce qu’elle pourrait bien y répondre. Nëssa était une adulte et la médic n’avait nullement l’intention d’insulter son intelligence en lui faisant de séduisantes promesses sorties de nulle part. Elle opta plutôt pour sa politique habituelle : décrire les choses telles qu’elles étaient.  

-Il m’est encore difficile d’en être certaine. Vous êtes très différente de tous ceux que j’ai eu l’occasion de traiter dans ma vie. La cause de votre déclin me paraît double. D’abord, votre corps semble vulnérable aux propriétés destructrices de votre propre chakra, même si le sceau apposé par votre mari en limite beaucoup les dégâts. Ensuite, bien que vous soyez manifestement dotée d’une longévité exceptionnelle, le cumul des années est parvenu, dans une certaine mesure, à endommager plusieurs de vos organes vitaux. Je crois cependant que si nous réussissions à trouver un moyen pour que votre système tolère mieux le chakra qui y circule, la vitalité que vous regagneriez renverserait une bonne part de ces effets.

Je préfère être honnête avec vous : tout cela n’est pour l’instant que de la spéculation. Mais si vous m’en laissez la chance, je mettrai ma science à votre service et vous aiderai à découvrir le traitement qui vous rendra votre santé. Je suis convaincue qu’il existe.

Ces dernières paroles reflétaient bien les profondes convictions qui animaient Kaede : que les sciences curatives recelaient encore un vaste potentiel inexploité et qu’elles devaient servir à préserver la vie sous toutes ses formes. Seulement, dans ce cas particulier, il y avait du boulot. Une bonne part de ses connaissances ne lui servirait à rien puisque celles-ci ne concernaient que les êtres humains ordinaires. Peut-être Nëssa disposait-elle d’archives familiales ou d’autres connaissances liées à son clan qui pourraient accélérer les recherches? Peut-être même avait-elle des parents vivants qui pourraient leur en apprendre un peu plus long? Il faudrait la questionner sur cela aussi.

Ces interrogations sur sa famille ramenèrent à l’esprit de Kaede les mots prononcés un peu plus tôt par la belle dame concernant son mari. Qui était-il, et pourquoi ces inquiétudes? Après une brève hésitation, elle posa directement sa question à Nëssa.­

Une image vaut mille mots, dit-on. Si avisée soit cette expression, Kaede aurait préféré un discours interminable au spectacle visuel qui allait faire office de réponse à sa dernière question. Vêtu d’un simple kimono, un jus d’orange à la main, un homme qui ressemblait terriblement au légendaire Madara Uchiha vint s’installer sur le canapé lui faisant face et entama son petit déjeuner comme si c’était la chose la plus banale au monde. Quant à Nëssa, elle demeura silencieuse. Et merde, ses sens lui jouaient-ils des tours? Il fallait reconnaître que ça n’aurait pas été la première fois mais, jusqu’à présent, les hallucinations de la jeune femme n’avaient été peuplées à sa connaissance que des membres défunts de sa propre famille. Certainement jamais, en tout cas, de légendes vivantes au passé sanglant.

Pour une fois, la médic remercia le ciel des effets secondaires de sa potion, qui l’empêchait de manifester des émotions trop vives. S’il n’en avait été de ce soutien providentiel, sans doute se serait-elle enfuie en hurlant, toute fierté abandonnée. Mais tout de même, il y avait des limites à la puissance de sa drogue et pour le moment, la pauvre n’en menait pas large.

Et voilà qu’en prime, il lui demandait d’ignorer sa présence. L’absurdité de la situation était tangible.

Pour l’amour du ciel, Nëssa, dis quelque chose! pensa Kaede vainement. Sa  muette prière resta sans réponse.

Bon. Devant un scénario improbable, il valait parfois mieux revenir aux classiques. Elle se présenta donc, très simplement.

-Bonsoir! Je suis Kaede Shimizu. J’espère que ma visite ne vous incommode pas.

Consciente que toute tentative de sourire se solderait en grimace crispée, elle n’essaya même pas.

-Êtes-vous bien… celui que je crois?

Quelle que soit la réponse du nouveau venu, l’inconsciente demoiselle était déterminée à compléter cette visite médicale. Son engagement envers Nëssa n’était pas qu’une promesse en l’air. Et en plus… une part infime d’elle-même, celle qui lui attirait sans cesse des problèmes, celle qui était responsable de ses idées les plus douteuses, se réjouissait de cette rencontre inattendue.