Comme toujours, la volière de Suna était animée des cris de nombreux oiseaux et du bruissement de leurs ailes. Kaede noua méticuleusement un sachet à la patte du vieux faucon qu’elle avait sélectionné. La sève de cactus déshydratée était un ingrédient convoité, à la base d'une variété de remèdes. Elle en faisait régulièrement parvenir à Kyako-sama, son ancien professeur de médecine. L’oiseau avait fait maintes fois l’aller-retour à Kiri et la jeune femme savait que son chargement arriverait à bon port.

Surgissant du ciel sans prévenir, un second faucon atterrit lourdement près des cages. Les plumes en désordre, il portait un parchemin à la patte et paraissait épuisé. Le shinobi responsable du traitement des messages détacha la missive avec soin, s’assurant tout d’abord qu’il ne s’agissait pas d’un piège. L’observant de plus près, Kaede réalisa que l’oiseau était blessé au ventre, la netteté de l’entaille suggérant qu’elle avait été infligée par une arme. Murmurant quelques mots rassurants, elle s’approcha de l’animal et stoppa le saignement d’un jutsu simple.

Pourquoi avait-on cherché à abattre cet oiseau? Était-ce en rapport avec le contenu du parchemin? Intriguée, la jeune femme jeta un regard oblique vers son collègue, qui s’employait maintenant à le déchiffrer. Lorsqu’il eut connaissance du contenu, son visage pâlit. Ne prenant plus la peine de dissimuler sa curiosité, Kaede l’interrogea. Le shinobi hésita brièvement puis, par égard envers son rang, lui fit part de ce qu’il venait de lire. Le convoi dont dépendaient les relations de Kaze no Kuni avec le pays de la Cascade avait été attaqué et sa cargaison volée.

S’il n’en avait été du philtre des chimères qui neutralisait chez elle ce genre de réaction, Kaede aurait blémi à son tour. Ce revers du sort était problématique pour Suna et pour le pays du vent mais il l’était aussi pour elle, à titre personnel et professionnel.

Ébranlée, elle acheva sa tâche et sortit de la volière. Apercevant devant elle le shinobi qui se rendait en toute hâte faire part de la mauvaise nouvelle au Kazekage, elle le suivit d’un pas traînant.

Elle ne fut pas particulièrement surprise que ce dernier lui refuse une audience dans l’immédiat. Néanmoins, ce qu’elle avait à lui dire ne pouvait attendre. Elle écarta d’une main le subordonné qui venait d’exiger qu’elle revienne plus tard et frappa elle-même à la porte du bureau. Quand on lui commanda d’entrer, elle s’introduisit silencieusement dans la pièce. Gaara était à son bureau, penché sur un document. Elle attendit qu’il lui adresse la parole, se demandant comment elle allait bien pouvoir l’informer de son erreur tout en gardant la vie sauve.

Comme elle aurait voulu être à mille kilomètres de ce bureau. L’erreur que Kaede avait commise était potentiellement si lourde de conséquences qu’elle pouvait faire une croix sur sa carrière, et en toute probabilité sur son existence, si ce Kage était aussi strict que son prédécesseur.

-Pardonnez cette intrusion, Kazekage-Sama, entama-t-elle en s’obligeant à soutenir le regard de celui qui lui faisait face. Bien que l’entreprise de la jeune femme ait tourné au désastre, elle n’avait pas à rougir de ses motifs.

-L’arrivée de l’ambassadeur Ashi Sojizo est imminente et ce que j’ai à vous apprendre concerne la cargaison en provenance du pays de l’Ours qui lui était destinée.

Nul n’ignorait que le pays de l’Ours avait été autrefois le siège d’une catastrophe environnementale unique en son genre. Voilà plus de deux siècles, un météorite d’origine inconnue s’y était écrasé. Jusqu’à tout récemment, cet artéfact venu du ciel avait baigné les environs de rayonnements aux mystérieuses propriétés. Ceux qui s’entraînaient à proximité se découvraient des pouvoirs surprenants puis finissaient par succomber à des maux inexpliqués. Lorsqu’enfin la pierre fut reconnue comme la menace qu’elle était, on résolut de la détruire bien que cette décision n’ait pas fait l’unanimité.

Kaede entama son récit.

-Lors de ma dernière visite au pays de l’Ours, j’ai fait la connaissance de chercheurs qui s’intéressaient aux effets entraînés par cette matière inconnue. L’un d’entre eux m’a confié une part de ses résultats.

Elle épargna au Kazekage le rapport détaillé de cette rencontre, à savoir qu’elle avait collecté l’information lors d’une soirée bien arrosée tandis que l’un des scientifiques, moins futé que ses collègues, tentait de la subjuguer par l’envergure de ses connaissances dans l’espoir que l’échange se termine au lit.

-À ses dires, les radiations émises par l’une des composantes du météorite auraient eu la faculté d’altérer les fonctions vitales, tant chez l’être humain que chez le plus petit microbe. Il affirmait que certains germes jusqu’ici inoffensifs étaient devenus, sous cette influence, les vecteurs de maladies fulgurantes. Éventuellement, il a laissé entendre que tout un laboratoire était dédié en secret à l’approfondissement du sujet.

Même si Gaara avait de toute évidence deviné ce à quoi elle voulait en venir, la jeune femme poursuivit :

-Comme vous le savez, le pays de l’Ours ne dispose que de médiocres ressources militaires. Certains commanditaires ambitieux ont vu dans cette découverte l’occasion de développer une arme létale et imparable, puisqu’on ne connaît pas de remède à ces maladies qui n’ont encore jamais touché les grandes nations.

Kaede expliqua qu’elle avait jugé indispensable de se prémunir contre cette menace. Elle avait débattu l’idée d’en faire part au conseil de Suna ou même à l’ensemble de l’alliance mais s’était ravisée. Certes, la nation responsable se serait vue sévèrement jugée mais cela n’aurait pas empêché la moitié des gouvernements au courant de l’affaire de lui emboiter le pas en secret, soucieux de demeurer à l’avant-garde des technologies militaires. Ainsi, le risque se serait trouvé décuplé plutôt qu’enrayé. En attendant une solution plus permanente, la médic avait décidé de développer les vaccins qui permettraient, advenant que la menace se concrétise, de contenir la pandémie en éclosion. Avec grande difficulté, elle s’était procuré des échantillons volés des différentes souches microbiennes. N’osant pas transporter seule cette précieuse marchandise, elle s’était plutôt servie du convoi, un moyen de transport idéal puisque lourdement gardé et bénéficiant de tous les documents nécessaires pour passer les frontières sans être inquiété.

Après un bref silence, la jeune femme conclut :

-La cargaison vient d’être volée par un groupe dont nous ignorons encore l’identité. La possibilité que d’autres nations aient vent de cette transaction illégale est maintenant bien réelle.

À tout le moins, s’il y a enquête et que l’alliance use des moyens qu’on lui connaît pour faire éclater la vérité au grand jour, on ne pourra qu’établir ma culpabilité et l’innocence de Suna, se dit-elle en silence.

Le regard direct, le dos droit et l’expression paisible, l’attitude de la kunoichi communiquait un calme aux antipodes de ce qu’elle ressentait.

-Kazekage-sama, si tel est votre souhait, je mettrai tout en œuvre pour réparer cette erreur. Quant à ma sentence, je l’accepterai quelle qu’en soit la nature.

Kaede comprit que la situation prenait une mauvaise tournure quand elle releva la pointe d’irritation dans la voix de son supérieur, signe qu’il devait être, en fait, profondément contrarié. Cette suspicion fut confirmée quand elle entendit sauter le bouchon de sa gourde. Cette fois, elle était allée trop loin.

Fascinée et horrifiée par les filaments de sable qui glissaient lentement vers elle, la jeune femme cessa d’enregistrer les paroles de Gaara. Malgré le détachement pharmaceutique dont elle bénéficiait, elle sentit ses mains trembler légèrement, une manifestation bien rare chez elle. Tandis que le kazekage continuait de lui exprimer l’ampleur de son mécontentement, le sable parvint jusqu’aux chevilles de la kunoichi et les enserra lentement. Elle eut toutes les difficultés du monde à ne pas baisser les yeux pour suivre l’évolution de l’effrayant phénomène.

Kaede comptait tout au plus deux ou trois ans de différence d’âge avec le chef du village du sable. Elle avait grandi en écoutant les sinistres rumeurs qui couraient sur lui, sur ses pulsions meurtrières. Même si les gens aimaient embellir quand ils relataient ce genre de fable, elle savait que tout cela devait receler une part de vrai. Plus tard, quand l’Akatsuki avait arraché à Gaara le démon qui l’habitait, les rumeurs s’étaient peu à peu éteintes. Cependant, toute une vie de cohabitation avec un monstre assoiffé de sang ne pouvait laisser quelqu’un inchangé et la jeune femme avait la quasi-certitude qu’elle en ferait aujourd’hui la funeste expérience.

Elle ferma les yeux et tenta de faire le vide dans son esprit, en vain. Tant d’expériences importantes lui restaient encore à vivre, tant de projets devaient être menés à terme. Exécutée pour s’être fait prendre  au milieu d’une bête manigance, quelle stupide façon de mourir. Et de ses mains à lui, l’un des shinobis pour lesquels elle éprouvait le plus de respect et, sans vraiment vouloir se l’avouer, quelque chose en plus. Mais puisqu’elle était résolue à accepter son châtiment, quel autre choix lui restait-il que d’attendre, impuissante, l’exécution de sa sentence.

Lorsque Kaede ouvrit finalement ses yeux verts pour admirer une dernière fois ceux de son assassin, elle eut l’étrange impression que le temps s’était momentanément suspendu. Le sable qui la maintenait avait interrompu sa progression. Plus rien ne bougeait dans la pièce, hormis Gaara qui, assis à son bureau… feuilletait de la paperasse?

L’absurdité de la situation l’aurait presque fait rire si elle n’anticipait pas être broyée dans les prochaines minutes.

Mais qu’est-ce qu’il f…

Gaara se leva subitement. En un instant, tout le sable qui l’entourait retourna dans sa gourde, dont le bouchon reprit sa place. Il lui tendit des documents, lui enjoignant d’identifier les noms qu’elle y reconnaîtrait. Interloquée, Kaede prit machinalement les feuilles et les parcourut des yeux.

Après quelques secondes, elle les lui rendit.

-Kagome Akihiro, Hisakawa Goro, Nishimura Hajime, Ueda Noboru. Ce sont des intermédiaires de l’organisation avec laquelle j’ai négocié pour obtenir les échantillons. D’où tenez-vous cette liste?

Kaede referma le dossier et soupira. En achevant sa lecture, toute la tension accumulée ces dernières heures s’était transformée en une extrême lassitude. À la vérité, cette mission la rebutait profondément et le fait qu’elle lui ait été confiée par Gaara lui causait un chagrin qu’elle ne pouvait s’expliquer. Pourtant, ce qu’on attendait d’elle n’avait rien d’exceptionnel, comme auraient pu en témoigner d’innombrables kunoichis à travers le monde. Mais si ravissante soit-elle, la médic n’était habituellement pas de celles qu’on appelait quand venait le temps de séduire un haut dignitaire pour lui extorquer de l’information, ses précieuses compétences l’ayant toujours mise à l’abri des sales boulots de ce genre. Ce soir, elle serait donc en terrain inconnu.

La jeune dame était rentrée chez elle suite à sa discussion houleuse avec le kage, souhaitant profiter au maximum du peu de temps dont elle disposait pour réfléchir et se préparer. Elle avait convenu de faire un arrêt chez Temari un peu plus tard. Tout en prenant une douche rapide, elle considéra la tâche assignée. Les renseignements qu’elle devrait obtenir de l’ambassadeur étaient suffisamment spécifiques pour qu’il soit à peu près impossible, dans des circonstances normales, de les lui soutirer sans susciter les soupçons. Heureusement, en parcourant la biographie d’Ashi Sojiso, on ne pouvait manquer de lui trouver quelques points faibles. Ainsi, cet individu sans scrupules était aussi un obsédé sexuel notoire qui ne faisait nul secret de son appétit pour la chair fraîche durant ses visites et avait l’habitude d’être accueilli en conséquence. Et s’il fallait reconnaître que la demoiselle était plutôt novice en matière de séduction, elle possédait en revanche une confortable expertise en pharmacologie, en biochimie et en neurologie qui lui avait permis d’accumuler, au fil de ses recherches, une panoplie de recettes capables de déstabiliser les esprits, de faire tourner les têtes et de délier les langues.

Debout dans la pièce attenante à son laboratoire, la jeune scientifique survola du regard son imposante pharmacopée. Que choisir? Elle disposait d’une variété d’essences et de philtres qui, versés dans une boisson, entraînaient des effets psychotropes plus ou moins marqués. Rien, cependant, qui viendrait à bout d’un esprit méfiant sans engendrer aussi une confusion susceptible de limiter sévèrement la précision et la fiabilité de l’information à obtenir. La victime devait conserver une partie de ses facultés, incluant sa mémoire, le temps de l’interrogatoire. Et puis, que faire si sa garde personnelle était dans le coup et les surveillait d’un peu trop près? Une solution risquée mais simple s’imposa tout à coup à la juunin. Au contenu de son sac, elle ajouta une petite boîte remplie d’une substance grumeleuse, un encensoir, un briquet et quelques seringues d’antidote. Il ne lui restait plus qu’à se rendre chez Temari pour une formation éclair en diplomatie.

Kaede connaissait peu la sœur du kazekage mais l’avait toujours perçue comme une sorte de garçon manqué; elle fut donc surprise par l’agencement soigné des meubles et les touches décoratives d’une douceur toute féminine qui caractérisaient son domicile. Cependant, elle n’en souffla mot. L’arrivée de Sojiso était imminente et le temps n’était plus aux politesses. La médic observa, songeuse, la sélection de robes que sa collègue avait étalée sur le lit. Toutes étaient bien coupées et d’allure dispendieuse. Toutes étaient, aux yeux de Kaede, à la limite de la décence. Elle opta finalement pour un simple modèle noir dont elle estimait le décolleté un peu moins embarrassant que les autres. Inspectant sa silhouette dans la glace, elle comprit pourquoi : le dos plongeait si bas qu’un seul faux mouvement révélerait une partie de son anatomie que peu avaient encore eu la chance d’admirer. Quant à l’ourlet, il s’arrêtait à mi-cuisse. Là non plus, pas beaucoup d'espace pour se mouvoir.

-Non seulement il me demande de faire la pute, mais j’ai droit au costume en prime! ne put-elle s’empêcher de maugréer à voix basse.

Assise devant le large miroir de la coiffeuse, Kaede laissa passivement sa collègue appliquer son maquillage et arranger ses cheveux pour l’occasion tout en prenant bonne note des conseils de celle-ci. Scrutant une dernière fois son reflet, elle eut la singulière impression de se trouver face à une étrangère. Une étrangère dont les grands yeux verts fardés de noir, les lèvres sensuelles, les courbes provocantes et l’expression impassible ne laissaient rien deviner du trouble intérieur. Ensemble, les deux femmes prirent le chemin de la tour du kazekage.