Parfois, le besoin de s’isoler prend le dessus sur la raison, sur les responsabilités, sur les obligations. Nous laissons tout de côté pour nous consacrer à cette urgence illogique, sans trop nous soucier de ce que nos actions pourraient avoir comme conséquence. L’être humain a des réactions disproportionnées selon des situations et personne n’a les mêmes. Prétendre comprendre les autres est le pire des mensonges… C’est pourquoi je pars du principe que mon évasion du moment sera sans doute mal interprétée, pris en pitié, condamné aussi, bref, qu’en ai-je à faire de ce que le monde peut bien penser de moi?! Il y a à peine une trentaine de minutes mes pas faisaient le tour de mon petit appartement, confortable, mais trop… emprisonnant, me voilà maintenant sur un lointain terrain d’entraînement à me questionner sur ce que j’ai envie de faire. Pas plus avancée dans cette fuite dont toute logique m’échappe… Peut-être qu’en laissant réellement mon instinct aiguisé m'orienter, cela m’apporterait quelque chose de bénéfique au final. Je possédais un don pour déceler les mauvaises situations, pour les impressions qui se soldaient en mal, cette fois-ci, rien de cela ne m’envahit. Il fallait simplement profiter du moment, lâcher prise. Convaincue que cela me ferait le plus grand bien, raisonner ainsi avança le tout. Le temps de dire ouf que j’avais déjà une idée en tête. Mes relations avec mon pacte d'invocations étaient pour la plupart bonnes, même excellentes avec la majorité. Néanmoins, une d’entre elles, une lionne vous l’aurez deviné, est plus difficile à apprivoiser, si je peux me permettre cette expression. Seule au milieu du désert, peut-être était-ce l’occasion rêvée pour discuter avec elle, pour obtenir un tête-à-tête privilégié. Oh, elle serait à coup sûr fâchée d’être appelée pour ce qu’elle dirait « rien », mon défi sera de la faire changer d’avis. Hum, compliquée comme tâche…

Bref, il ne fallait plus attendre. Effectuant les mudras requises, je blessai ensuite mon pouce puis déposai ma main au sol. Un nuage de fumée et un pouf sonore retentirent. L’animal en question se trouvait désormais devant moi. Je lui laissai quelques instants avant de m'organiser pour qu'elle remarque ma présence. Ses yeux félins scrutèrent attentivement les environs, puis les posa sur moi. Elle m’observait longuement, son expression devenant de plus en plus mesquine, hautaine et de mauvais poil, sans jeu de mots. La lionne était visiblement de très bonne humeur de me voir dans un tel contexte… Il faudrait que je cesse le sarcasme dans ces situations, un de ces jours. Un grognement sourd retentit, puis la source de ce bruit bougea, s’approchant de moi. Droite et fière, Kadara attendait manifestement des explications, qu’elle avait bien hâte d’avoir. Après tout, c’était bien moi qui l’avais déplacé alors qu’aucun combat ne faisait rage, du moins, pour le moment. Mon intention se résumait à vouloir m’entraîner avec elle, ce qui lui permettrait de se défouler un peu, et ensuite de discuter et voir où cela peut mener. Ainsi, j’espère en arriver à une meilleure amitié avec ce fauve. Qui ne tente rien n’a rien. Je ne la fis pas patienter plus longtemps.

-Bonjour Kadara. Je sais que je t’ai invoqué alors qu’il n’y a aucun combat à l’horizon…
-Alors pourquoi suis-je ici? m’interrompit-elle, le ton irrité.

Je repris donc, soupirant. -Parce que j’avais envie de te voir et de m’entraîner avec toi. Ne partage pas ta joie, elle m'éclate au visage tellement je la constate, terminai-je, le sourire aux lèvres.

Si elle voulait jouer les ingrates, je pouvais très bien entrer dans son jeu, elle en serait moins amusée. Elle était bien la seule lionne incapable de s’entendre avec moi… Avoir une ennemie, si je peux dire, dans le pacte ne me dérangeait pas tant que ça, bien que ça ne soit pas l’idéal. Sa mauvaise volonté commençait à me peser. Il fallait trouver un terrain d’entente, repartir sur de solides bases. Serait-ce possible aujourd’hui même? Ça m’étonnerait fortement. Toutefois, débuter tranquillement ne pourrait être qu’avantageux. Dans cet esprit, je me rendis compte que ma dernière phrase était inévitablement de trop. La lionne ne fit que montrer davantage de mépris à mon égard… Égo mal placé. Mon orgueil me causerait bien des problèmes si je ne le mets pas de côté sous peu. Heureusement, Kadara accepta de rester malgré tout, possiblement parce qu’elle estimait ne pas avoir le choix. Pourtant, personne ne pouvait me qualifier de despote qui dirige la vie d'autrui. Cette bête demeurait libre de faire comme bon lui semblait. Le plus difficile pour progresser avec elle serait de lui retirer cette jalousie à mon égard. Elle n’aime pas que je sois plus puissante qu’elle, et des autres de son espèce. Mon impression me dit qu’elle se sent soumise. Ça doit être le sentiment le plus ardu à endurer pour un félin de ce prestige, le roi de la jungle. Habituée d’être prédateur, présumer devenir la proie est, sans l’ombre d’un doute, poignant et chiant. Maintenant que j’avais ma petite idée sur la principale source de conflit, agir en conséquence serait aisé. Ma voix s’éleva de nouveau, empruntant un ton plus doux.

-Excuse-moi, Kadara. Tu es prête à commencer ce combat amical? demandai-je, simplement.

Je n’aurai jamais cru voir un genre de rictus pas rassurant sur la gueule d’un de ces animaux, pourtant ce fut le cas à cet instant. Elle me dit qu’elle était des plus enthousiastes, avant de se positionner pour attaquer. Eh bah, c’était mon jour de chance. À la première occasion, le fauve tenterait sûrement de me réduire en lambeaux grâce à ses griffes affûtées et ses crocs destructeurs. La prudence deviendrait ma véritable alliée. Au moins, mes réflexes seraient mis à rude épreuve, voilà un bon entraînement pour les parfaire. Sans attendre, mon corps adopta une autre posture, prêt à réagir au moindre mouvement suspect. Kadara aurait ainsi tout le loisir d’amorcer les hostilités. Le spectacle que nous donnerions allait être grandiose! M’enfin, surtout celui que j’allais donner, puisque j’adorais cela. Vive la non-discrétion et le feu!

Dire que j'étais sortie de chez moi pour aller m'acheter de nouveaux draps, ayant involontairement brûlé les anciens avant d'aller dormir...