En route vers le jardin botanique, un thermos de thé glacé et un bon livre dans son sac, Kaede s’apprêtait à profiter de quelques heures de bonheur insouciant en ce dimanche après-midi. Le jardin était un endroit idéal pour trouver un peu de paix puisque Suna ne comptait que peu de passionnés d’horticulture.

Elle n’avait pas terminé deux pages lorsqu’une trop familière alarme bourdonna à sa ceinture, lui faisant brièvement regretter d’avoir instauré l’usage de ce petit appareil importé de Konoha.  Mais l’équipe de garde de l’hôpital était compétente et si on la faisait signaler pendant ses heures libres, il devait s’agir de quelque chose d’assez grave. À regret, la kunoichi laissa en plan ses affaires et partit pour l’hôpital.

À son arrivée, une équipe de paramédics était occupée à remballer du matériel devant l’entrée principale. On l’informa qu’un shinobi gravement blessé venait tout juste d’être transporté à l’aire de réanimation. Il y avait du sang sur le sol du couloir. Trop à son goût. Kaede parcourut les derniers mètres en courant.

La salle de choc était animée du brouhaha habituel des infirmières s’affairant à installer voies veineuses et électrodes sur le blessé. Quelques médecins juniors étaient sur les lieux. Kaede prit sa place sans attendre, commençant déjà à lancer des consignes à son équipe. Personne ne remit cette prise de contrôle en question. Après le chaos de la 4e guerre, la kunoichi et ses collègues avaient retravaillé l’organisation de l’aire d’urgence. La salle de choc était aujourd’hui une machine efficace et bien huilée où chacun connaissait son rôle sur le bout des doigts.  

La médic s’approcha du blessé, un jeune ninja aux cheveux noirs. Nul besoin d’être un maître de l’irou pour comprendre qu’il était dans un état critique. Kaede ne le connaissait que de vue, et ils risquaient fort d’en rester là si elle ne se dépêchait pas d’intervenir. Afin d’évaluer son état de conscience, elle lui demanda d’ouvrir les yeux. Sans grande surprise, elle n’obtint aucune réaction. Tout en complétant son examen physique, la jeune praticienne s’adressa à l’auxilière qui se trouvait près d’elle.

-S’il a de la famille, c’est le moment de les appeler. Je ne suis pas certaine qu’il s’en tirera.

L’infirmière hocha la tête et sortit s’enquérir de l’existence d’une épouse ou de parents.

Une lame avait lacéré le deltoïde gauche, éraflé quelques côtes et percé la poitrine du blessé en latéral du sternum. À l’auscultation, l’air n’entrait plus qu’à droite, signant un pneumothorax sous tension. Le cœur battait toujours mais même si ce shinobi était de solide constitution, ça ne durerait pas. Kaede déballa une aiguille de gros calibre, repéra l’espace intercostal approprié et l’enfonça d’un mouvement précis. Elle entendit le sifflement rassurant de l’air sous pression qui s’en échappait, permettant au poumon de reprendre sa fonction.

C’est le moment que choisit le juunin pour faire un arrêt cardiaque.

Kaede initia le massage, grinçant des dents lorsqu’elle sentit les côtes du blessé craquer sous le mouvement. Malheureusement, impossible de faire dans la dentelle pour le moment. Par-dessus le son aigu du défibrillateur en charge, elle entendit quelqu’un prononcer le nom du shinobi. Yadomaru. On lui tendit les palettes. Elle ordonna à tous de reculer et administra la décharge, reprenant le massage immédiatement.

Toujours pas de pouls.

Yadomaru… ce nom lui disait quelque chose. Rapidement, cela lui revint. Le nom était celui d’une sunajin qui avait perdu la vie durant la 4e guerre, non sur le champ de bataille mais des suites d’une maladie, tandis que la plupart des eisen nin étaient indisponibles. Ce jeune homme était certainement une relation. Une résolution renouvelée s’empara de la kunoichi. La médecine de Suna ne ferait pas une deuxième fois défaut à cette famille. Ses réserves de chakra étaient intactes et son équipe était là pour l’épauler. Elle pouvait se permettre de tenter cette technique. Kaede ferma les yeux, fit le vide dans son esprit, canalisa tout le chakra dont elle disposait et débuta l’exécution de son jutsu le plus exigeant : la réanimation.
…

Tout était calme dans la pièce quand elle se réveilla. Seuls les bip-bip monotones du moniteur troublaient le silence. Il faisait sombre. La médic se souvenait s’être assise en retrait après avoir complété sa technique, dès qu'il était devenu certain que le juunin ne courait plus aucun risque. Passablement drainée, elle avait fermé les yeux quelques instants... Combien de temps avait-elle dormi?

Les signes vitaux affichés sur l’écran du moniteur étaient satisfaisants mais Kaede savait qu’elle ne quitterait pas l’hôpital ce soir. Elle se leva, s’étira et se dirigea vers le couloir, espérant trouver du café encore chaud quelque part.

Cette petite expédition-café avait permis à la juunin de s’éclaircir l’esprit mais surtout d’aller aux nouvelles. Ainsi, elle avait appris que le ninja responsable du rapatriement d’Haiko Yadomaru s’en était tiré à meilleur compte que ce dernier. Après quelques soins superficiels, l’adolescent avait bénéficié d’un congé précoce afin de pouvoir transmettre immédiatement son rapport de mission. Par malheur, un troisième shinobi manquait à l’appel et à en croire le jeune chuunin, elle avait toutes les chances de devoir remplir un constat de décès avant la fin de la nuit. Une équipe était déjà en route vers le site du combat.

Avec tout ça, Kaede avait quitté le chevet du blessé un peu plus longtemps que prévu. Il faisait toujours sombre dans la salle de réanimation à son retour. Le murmure régulier du moniteur était audible de l’extérieur, garant de la stabilité du patient. À travers la baie vitrée, elle remarqua que celui-ci avait repris conscience. Bien éveillé, les yeux ouverts, son expression traduisait une profonde souffrance. Bien entendu, vu la précarité de sa fonction respiratoire, il n’avait reçu que peu d’analgésie. En temps normal, cela n’aurait pas porté à conséquence puisque Kaede se serait servie de son irou pour consolider les côtes fracturées et fermer la lacération, éliminant du même coup la source de la douleur. Mais pour le moment, ces lésions ne mettaient plus la vie du jeune homme en danger et elle devait conserver ce qui lui restait de chakra dans l’éventualité où le troisième membre de l'équipe soit ramené vivant.

La jeune soignante entra dans la pièce et referma la porte doucement. À mesure que ses yeux se faisaient à la pénombre, elle distinguait mieux l’expression de son patient. Elle comprit, en voyant les traces de larmes sur ses joues, que sa souffrance n’était pas d’origine physique. Dans le monde shinobi, partager de telles émotions ne se faisait que rarement, et à plus forte raison avec des inconnus. Elle aurait préféré, par respect, lui donner le temps de reprendre contenance avant de l’approcher. Cependant, elle avait besoin de s’assurer de son état. Elle fit quelques pas dans sa direction, s’adressant à lui à voix basse.

-Bonsoir.

Il posa finalement les yeux sur elle. Son visage était déjà plus composé mais la peine, ou quelque chose d’apparenté, y demeurait lisible.

-Votre vie n’est plus en danger. Avez-vous beaucoup de douleur?

Voyant que sa question restait sans réponse, elle coupa le son du moniteur pour pouvoir converser plus tranquillement.

-Je suis Dr Kaede Shimizu.

Elle s’installa sur un tabouret qui se trouvait près du lit.  

-Que s’est-il passé?

Portant la main à son visage comme pour masquer son désarroi, le juunin s’enquit du sort de son subordonné. Kaede ne put malheureusement rien faire pour le rassurer, demeurant assez peu convaincue elle-même de la survie du pauvre chuunin.

-Nous ne savons pas encore si le troisième membre de votre équipe est en vie. Des secours ont été dépêchés.

Elle aurait aimé en savoir un peu plus sur les événements dont ces blessures étaient la conséquence mais le jeune homme semblait peu enclin à en discuter et le harceler de questions ne ferait que le rendre plus inconfortable. Était-ce la première fois qu’il perdait un coéquipier? Ce passage presque obligé de la vie d’un shinobi, Kaede l’avait connu aussi. À vrai dire, en tant que médecin et kunoichi gradée, la mort était devenue si omniprésente dans son existence qu’elle n’avait eu d’autre choix que de faire la paix avec l’inévitable phénomène sous peine de sombrer dans le désespoir.

Le dénommé Yadomaru affirmait n’avoir rien fait pour sauver son camarade mais la nature de ses blessures suggérait le contraire. Son attitude même était la preuve de l’importance qu’il attachait à la sécurité de son équipe. Bien sûr, se battre avec bravoure ne garantissait pas la victoire et les échecs de ce genre étaient inévitables. Ce shinobi n’était sans doute pas plus responsable de la funeste conclusion de cette mission que ceux qui avaient choisi de la lui confier. La médic décida cependant de garder pour elle ses réflexions, sachant que dans le moment elles risquaient d’être prises pour de la condescendance ou pire, pour de la pitié. Elle ne lui adressa donc qu’une simple remarque.

- Nul n'est tenu à l'impossible. Si vous vous êtes battu à la hauteur de votre rang, vous n’avez rien à vous reprocher.

Kaede considéra ses options. Si elle était impuissante à soulager la douleur psychologique de son patient, du moins disposait-elle d’un moyen efficace pour le débarrasser temporairement de sa souffrance physique. Sachant pertinemment qu’il refuserait si elle lui proposait l’analgésie, elle escamota cette étape. Elle se leva sans un mot, sortit une fiole de l’un des tiroirs du comptoir, en remplit une seringue et vida celle-ci dans le cathéter du soluté. En quelques secondes, la solution coulerait dans ses veines et lui procurerait une considérable sensation de bien-être. Avec un peu de chance,  peut-être même trouverait-il le sommeil.

L’initiative de Kaede ne passa pas inaperçue et, comme elle s’y attendait, ne fut pas très appréciée.

-N’êtes-vous pas tenue de consulter votre patient avant de l’anesthésier?

À cette question, elle ne put retenir un léger sourire.

-En principe.

Cela ne l’empêcha pas d’achever son geste.  La jeune femme était d’un dévouement irréprochable envers la santé de ses patients mais dans le domaine médical, son mépris pour les droits et libertés de la personne rivalisait presque avec ceux de Kabuto ou d’Orochimaru. Qui sait d’où cette part obscure d’elle-même tirait son origine? Quoi qu’il en soit, tous les ennuis que cela lui avait occasionnés n’avaient pas encore suffi à l’en débarrasser.

La médic en était à ces réflexions quand on frappa à la porte. Le chuunin d’un peu plus tôt était revenu prendre des nouvelles du blessé. Après l’avoir rassuré sur la stabilité de ce dernier, elle les laissa quelques instants en tête-à-tête pour aller compléter ses dossiers, tout en gardant un œil sur eux à travers la grande baie vitrée qui séparait les bureaux de la salle de réanimation. Celle-ci était aménagée de manière à procurer une vue d’ensemble de tous les patients, tout en ayant l’inconvénient de ne pas offrir une très grande intimité à ceux qu’on y installait puisque les civières n’étaient séparées que par de simples rideaux. Cependant, puisque seule une situation de vie ou de mort justifiait d’y séjourner, ce manque constituait un compromis acceptable.

La kunoichi rédigeait une note en silence tandis que non loin, une infirmière préparait des médicaments et qu’une autre s’était assoupie, la tête appuyée sur le bureau. Rares étaient les moments de la journée où l’on pouvait profiter d’un tel calme dans cet hôpital. Ce fut le claquement brusque de la porte principale qui, le premier, annonça le chaos à venir. Presque instantanément, des voix agitées s’élevèrent dans le couloir et la médic entendit le martèlement des bottes d’un individu approchant au pas de course.  L’homme à bout de souffle ne tarda pas à faire irruption dans la salle, annonçant l’arrivée imminente de la dernière des trois victimes. À la question de Kaede concernant son état, il ne put répondre.

Elle se leva promptement, fit signaler son équipe et ouvrit la grande porte qui communiquait avec la salle des civières pour que rien ne puisse ralentir le passage des brancardiers. Le chuunin était toujours au chevet de son camarade, qui paraissait plutôt somnolent. Malheureusement, vu l’état encore précaire de celui-ci, elle ne pouvait le faire transporter ailleurs pour lui éviter d’être témoin de ce qui allait suivre. L’espace d’un instant, elle regretta de ne pas lui avoir donné une plus forte dose de narcotiques.

Rallumant toutes les lumières de la pièce, Kaede ordonna sèchement au chuunin de quitter, adoptant une expression menaçante quand elle constata qu’il tardait à obéir. Les obstacles potentiels furent écartés du passage à la hâte et le matériel de réanimation assemblé auprès d’une nouvelle civière. Dès son arrivée, elle dirigea l’équipe de transport du blessé vers la zone adéquate et s’empressa de tirer le lourd rideau qui constituait la seule forme d’isolement disponible. Si  elle ne pouvait faire grâce à Haiko de cette expérience, elle aurait au moins la décence de lui en épargner les détails visuels.

Focalisant toute son attention sur le nouvel arrivant, l’experte d’irou entreprit de relever ses signes vitaux et constata qu’ils étaient inexistants. Sous sa lampe portative, les pupilles dilatées demeuraient fixes.  Elle questionna promptement l’un des brancardiers.

-Depuis combien de temps est-il… dans cet état?

-Il a cessé de respirer il y a une dizaine de minutes.

Dix minutes seulement. C’était si peu. Elle avait déjà fait mieux que ça, ramené sans séquelles des ninjas décédés depuis plus longtemps. Mais alors, son chakra était intact. Ce soir…

Elle n’avait plus le temps d’hésiter. Un bref survol visuel du blessé lui révéla qu’il était pratiquement au bout de son sang en raison d’une carotide sectionnée. Elle allait devoir s’occuper en premier lieu de ce problème sans quoi les transfusions et la réanimation qu’elle s’apprêtait à tenter seraient sans effet. Prenant d’abord quelques secondes pour visualiser la séquence des techniques à exécuter, elle entama le premier de ses jutsus, confiante que son équipe se chargerait de tout ce qui pouvait être accompli par quelqu’un d’autre.

Couper le lien avec l’entourage et lancer la vision médicale. Reconstituer les trois couches de l’artère lésée. Débuter la transfusion. Envoyer du chakra au cœur et au cerveau pour les protéger contre l’anoxie. Amorcer les gestes de réanimation et donner en un seul coup une dose massive de chakra pour relancer le cœur... réessayer encore une fois... et encore une...  et une autre…

La jeune femme ne réalisa pas immédiatement qu’autour d’elle, tout était redevenu silencieux. Après sa quatrième tentative, sentant ses jambes qui commençaient à céder, elle comprit qu’une cinquième était hors de sa portée.  Elle s’appuya au montant de la civière le temps qu’un peu de force lui revienne. Mettant fin à sa technique de vision altérée, elle constata que toute son équipe la regardait, un peu en retrait. Depuis combien de temps avaient-ils cessé les manœuvres? Devant elle, le corps inanimé d’un adolescent établissait la preuve de son échec. Tremblante, elle leva lentement son poing droit et l’envoya dans la ridelle de la civière, laissant une encoche dans le métal. Elle ne remarqua même pas les expressions ébahies de ses coéquipiers, très peu habitués à ce genre de manifestation de sa part.

Éreintée, du sang jusqu’aux coudes, la médic fit volte-face et prit la direction de la sortie. Elle avait besoin d’air, et de s’isoler. La série de techniques avait consumé tout ce qu’elle avait de chakra et une bonne part de sa vitalité. Elle n’était plus en mesure d’exercer le contrôle nécessaire sur son instabilité. Pire, les barrières chimiques qu’elle avait établies entre la réalité et l’horreur de ses visions s’étaient presque entièrement évanouies sous l’effort et elle commençait à percevoir des ombres aux limites de son champ visuel.

Kaede passa devant la civière d’Haiko sans croiser son regard. Les belles leçons de vie qu’elle avait été tentée de lui enfoncer dans la gorge, elle ne les avait même pas assimilées elle-même. Nul n’est tenu à l’impossible… ce concept bidon. Ce soir, l’échec avait le même goût amer qu’au jour de sa première défaite contre la mort. Alors qu’elle ressentait une nouvelle vague de faiblesse, les dernières paroles prononcées par le juunin lui revinrent en mémoire. Vacillante, elle prit appui dans l’embrasure de la porte le temps de regagner son équilibre. Elle devait rester. Elle avait encore une tâche à accomplir.  

-Faites venir sa famille.

Le juunin n’aurait jamais dû trouver la force de se lever. C’est pourquoi il prit tout le monde par surprise en arrachant subitement ses électrodes et sa voie veineuse pour ensuite quitter son lit. Avant que quiconque ait eu le temps d’intervenir, il avait déjà tiré le rideau et posé les yeux sur l’adolescent qui venait de rendre l’âme.

À vrai dire, Kaede n’y aurait pas vu d’inconvénient véritable si elle n’avait craint qu’il rouvre ses plaies en se levant si prématurément. Après tout, lorsqu’elle frappait, la mort n’était pas quelque chose que l’on avait coutume de cacher dans le monde shinobi. Tandis que deux membres du personnel tentaient tardivement de  restreindre le jeune homme, elle approcha et leur fit signe de reculer. Il ne lui restait que peu de temps pour accomplir ce qui devait l’être avant de connaître à nouveau cet état de délire auquel elle n’avait pas eu à faire face depuis bien longtemps. Les ombres qui dansaient à la limite de son champ visuel se faisaient plus distinctes et leurs ricanements commençaient déjà à couvrir les sons familiers de la salle d’urgence.  

On ne ramène pas les morts à la vie, lui disait Haiko. Si seulement ç’avait été vrai, son échec lui aurait peut-être paru moins cuisant. Mais à force d’entraînement acharné, Kaede y arrivait de plus en plus sûrement. Pas à la manière de Chiyo l’ancienne, qui savait ressusciter une victime inanimée depuis de longues heures, mais plus modestement, sur des ninjas dont le trépas était tout récent.  

L’une des lugubres silhouettes se détacha des ombres périphériques et flotta directement dans le champ de vision de la jeune femme l’espace d’une seconde, pour disparaître tout aussi subitement. Cherchant désespérément un fragment de réalité auquel s’accrocher, Kaede remarqua qu’Haiko la fixait toujours. Les yeux d’une personne étaient sans doute ce qu’elle avait de plus réel. La kunoichi se força à centrer son attention sur ceux de son interlocuteur, d’un noir profond. Il fallait absolument qu’elle parvienne à chasser ces visions envahissantes. Sa tentative fut interrompue lorsque le juunin s’écroula devant elle, à bout de ressources. Bien qu’en piteux état elle aussi, la médic parvint à le retenir avant qu’il ne chute au sol. D’autres leur portèrent assistance et, en un rien de temps, le blessé fut réinstallé sur la civière. Heureusement, il était stable. L’effet des médicaments, combiné à celui de la perte de sang, était simplement venu à bout de sa résistance.

Kaede se retourna lorsque des gémissements éplorés s’élevèrent derrière elle, étouffés par l’épaisseur du verre. Derrière la baie vitrée, une civile dans la cinquantaine venait de comprendre que son enfant n’était plus de ce monde. La médic jeta un dernier regard au Yadomaru. Il avait exprimé le désir de parler lui-même à la famille, projet qui était tout à son honneur. Malheureusement, il n’était plus en état de le faire et cette conversation ne pouvait attendre.  

Hagarde, la kunoichi demanda qu’on transfère le corps dans une chambre privée où les proches pourraient venir faire leurs adieux à l’abri des regards. Elle s’assit ensuite auprès de la mère dévastée afin de clarifier les circonstances du décès, reconnaissante envers son collègue chuunin qui avait demandé à être présent. Vu l’état dans lequel se trouvait maintenant la médic, c’est lui qui, finalement, se chargea de donner la majorité des explications. Lorsque la rencontre prit fin, les visions de Kaede étaient devenues si envahissantes qu’elle peinait à distinguer le vrai de l’illusoire. Quant à son corps, c’est à peine si elle parvenait à s’en faire obéir. Elle ne pourrait pas rentrer chez elle. Elle ne pensait même pas être capable de se lever de sa chaise.

Lorsqu’on la coucha à son tour sur une civière, la jeune femme n’en eut pas vraiment conscience. Quand un médecin se pencha sur elle pour l’examiner, ses traits lui rappelèrent étrangement ceux du shinobi qu’elle n’avait pu sauver. L’épuisement vint finalement à bout de ses visions et elle sombra dans une inconscience salvatrice.

La jeune praticienne conclut sa note, referma le dossier, posa son crayon. Tout lui paraissait si calme à présent. À son réveil, elle avait trouvé une pleine carafe de liquide blanc à son chevet. Sa mère, versée dans la fabrication du philtre qui chassait les macabres visions accablant les femmes de leur clan, était passée lui en porter durant son sommeil. Une coupe de la substance salutaire avait suffi à faire taire les voix, à oblitérer les fantomatiques silhouettes de ses aïeuls.

Kaede s’était rendue à la salle de choc dès que son état le lui avait permis mais n’y avait trouvé que des civières vides. Résignée, elle s’était donc attelée à la tâche peu palpitante de compléter les dossiers avant de finalement quitter l’hôpital elle aussi.

Le soleil se levait à peine mais les rues de Suna commençaient déjà à s’animer. Plus sereine, ou peut-être plus résignée qu’elle l’avait été quelques heures auparavant, la kunoichi se remémora les événements de la nuit tout en marchant vers chez elle. Elle revit les larmes de la mère anéantie, celles du juunin affligé. Si les morts posaient enfin leur fardeau, celui des vivants s’en trouvait souvent alourdi.

Haiko Yadomaru lui avait semblé être de ceux qui placent leur devoir loin devant leur propre bien-être et, quoi qu’il puisse penser de lui-même en ce moment, qui font la fierté de leur village. Et si sa compétence au combat était du même calibre que son sens des responsabilités, il était aussi le genre de shinobi avec qui Kaede partirait en mission sans hésiter. En outre, derrière les remous et la souffrance occasionnés par l’épisode qu’ils venaient de vivre, elle avait cru déceler une sorte de sombre détermination dans le regard et la voix du jeune homme. Elle était prête à parier qu’il y avait une intéressante histoire derrière tout cela. Elle résolut de le retrouver dès qu’elle en aurait l’occasion. Tous les deux, ils avaient une conversation à terminer.